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Tout est donc en place pour qu'une idylle s'engage entre Mathurin et Odilon, bien qu'aucun des deux n'en alors ait la moindre conscience puisqu'ils ne se connaissent pas encore à l'époque que je viens de vous exposer. Mais il faut bien commencer par les prémices, n'est-ce-pas, sinon le récit semblerait décousu, pour ne pas dire bordélique, c'est le b-a-ba de tout exercice narratif.
Deux personnages bien campés, donc, en comparaison desquels Charles et Diana sont aussi insipides et tiédasses qu'une infusion de bonne sœur.
Mathurin et Odilon se croisent tous les jours à la cantine de l'usine. Lui arrive à 12h15, avec trois quarts d'heure pour déjeuner. Elle déboule à 12h30, tandis qu'il achève son hors-d'œuvre. Mathurin finit par repérer Odilon, à la longue, quand elle passe toujours devant lui avec son plateau. Et puis, Odilon ne peut rester insensible devant ce fier malabar de guinguette qui daigne s'interrompre dans sa manducation pour la reluquer avec l'appétence d'un diabétique devant un rahat-loukoum.
Et ce qui doit advenir advient: un beau jour, Mathurin offre sa crème caramel à Odilon, qui l'accepte; et Odilon se fait prier, juste ce qu'il faut, pour consommer avec Mathurin un café post-prandial bienvenu au distributeur de boissons jouxtant la cantine. Elle minaude, piapiate, s'effarouche et rit aigu en renversant la tête en arrière, comme elle l'a vu faire dans les magazines et à la télévision. Lui, roule des épaules, donne de la voix dans les inflexions graves et veloutées, la guigne, regard en coin, paupières mi-closes et sourire enjôleur.
Ces préliminaires charmants évoluent bien vite en une relation sensuelle, hormonale, torride, que dis-je, sismico-tellurique: Odilon raffole de la bistouquette de Mathurin, Mathurin est toqué de la cocotte d'Odilon, mais la décence me commande de ne pas en dire davantage.
Alors nos deux héros, aussi simplement que dans une saynète des Deschiens ou des Bidochon, décident de convoler en juste noces, et choisissent le mardi 28 Juillet 1981, soit 79 jours après l'élection de Tonton Mitterrand, pour date de cérémonie. Il fait beau et chaud ce jour-dit, tous les copains et copines d'atelier sont présents, y compris Léontine Choduron et Jules et Henriette Branldu-Manche qui, à cette occasion, ont fait le voyage jusqu'à la capitale. La fête est belle et réussie: buffet de charcuteries et de crudités variés, roti de rumsteack en croute, pommes dauphines et haricots verts fins, salade, plateau de fromage (brie de Maux et reblochon de Savoie), mousse au chocolat et salade de fruits frais, Lussac Saint Emilion, Gigondas et Crémant d'Alsace pour arroser le tout. La jarretière rapporte 3 568,20 F.
Le lendemain, Charles et Diana se marient, et bien qu'il soit commenté en mondovision par Big Léon, l'événement n'est pas plus important que les épousailles de nos amoureux de Peynet: à cause du protocole c'est même bien moins fendard.
Après leur voyage de noces, pendant huit jours aux Baléares - le taux de change de la peseta leur permettant alors ce luxe de milliardaire pauvre, sans compter la contribution du comité d'entreprise - Mathurin et Odilon Branldu-Manche-Choduron s'installent au 4 de la rue de Vanves, à Boulogne-Billancourt, dans un immeuble construit en 1920 et mis en conformité avec la loi du 1er Septembre 1948. La liste de mariage déposée chez Conforama pourvoit à l'ameublement dont tout jeune couple rêve.
Fin du premier acte.
Dramma giocoso en deux actes par Paulot Beauléon - Acte 1 -
La presse nous a bassiné la tête et buriné les tétons avec les avatars de Charles et Diana. Des amours d'œuvre de savon (soap opera) que le plus tocard des scénaristes d'Hollywood (ou d'ailleurs, d'ailleurs) n'aurait osé écrire, même en panne d'inspiration.
On nous les a infusés, distillés, perfusés, instillés à toutes les sauces, sur tous les tons et les modes, en noir et blanc, et en panavision technicolor stéréo dolby nicam surround tutti quanti.
À dire vrai, Charles et Diana ont misérablement plagié leur destin conjugal sur un couple parfaitement inconnu mais qui peut revendiquer l'antériorité des faits et gestes dont on nous a battu et rebattu les esgourdes. Et pour faire monter la mayonnaise, les commentateurs ont convoqué l'exemplarité des faits et les risques politiques majeurs, n'hésitant pas à affirmer que la Couronne d'Albion la perfide venait à chanceler. Foutaise.
Puisqu'il faut dire la vérité, disons-la. Car voici la véritable aventure qui inspirera les avanies du couple princier d'outre-tunnel de la Manche: amours et désenchantements de Mathurin et d'Odilon, un binôme désormais aussi célèbre qu'Adam et Eve, Thésée et Arianne, Roméo et Juliette, Castor et Pollux, Tristan et Yseult, Pelléas et Mélisande, Bouvard et Pécuchet, Sodome et Gomorrhe, Verlaine et Rimbaud, Oscar et Wilde, Saatchi et Saatchi. Musique!
Premier acte (la majeur): les amours.
Mathurin, fils cadet de Jules et d'Henriette Branldu-Manche, travaille depuis le mois de Janvier 1978, dans une des usines d'assemblage d'une très célèbre société française de construction automobile dont je tairai le nom puisque je n'ai reçu aucun chèque pour faire sa réclame: nous dirons qu'il s'agit d'une société constituée au début du 20ème siècle, nationalisée après la guerre, célèbre pour sa 4CV, et qui a remporté les derniers championnats du monde de Formule 1 avec ses moteurs.
Mathurin est âgé de 20 ans, il vient de terminer son service militaire où il a appris à décapsuler les bouteilles de Kro et à les boire d'un seul trait pour mieux roter après. C'est un bon gaillard, mesurant 1,83m pour un poids de 78,6 kg, diplômé d'un CAP de tourneur-ajusteur, lors de son embauche. Rapidement, il saura se faire remarquer par la qualité de son travail et en refusant de s'encarter à la CGT. Il bosse dur le Mathurin, et bon camarade en plus: toujours partant pour préparer le méchoui ou la paëlla le samedi, quand son chef d'atelier décide d'inviter ses parents, sa frangine et son beau-frère. Bref, Mathurin gravit les échelons de la classe ouvrière, et devient, au mois de Mars 1981, chef d'atelier à la place du chef d'atelier mort des suites d'un accident de travail.
Odilon, native de Redon de père inconnu et de Léontine Choduron, est âgée de 18 ans, en 1978, quand elle décide de se tirer de chez sa mère qui lui prend la tête, pour aller chercher meilleure fortune à la ville. Elle a commencé un apprentissage de coiffure, mais interrompt sa formation car elle n'aime pas voir son patron lui tourner autour. A l'époque, souvenez-vous, on pouvait se faire embaucher à peu près partout, pour autant qu'on se réveillât à l'heure tous les matins. Et voici donc Odilon qui signe son contrat de travail, le 3 Septembre 1978, chez le fameux constructeur automobile français bien connu pour ses grèves, ses plans sociaux et sa Twingo. Elle pète de joie et rayonne de santé, la belle Odilon: 98D-65-95, ce qui explique qu'elle soit affectée à l'atelier de garnissage et de passementerie puisque sa silhouette offre tous les attraits d'un fauteuil anglais de la meilleure facture.