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Tout cela ne laisse pas Mathurin indifférent, mais Camille s'empresse et achève de le convaincre que sa femme a irrémédiablement fondu les plombs, qu'elle est caractérielle au dernier degré, qu'elle est mûre pour l'asile, que ce n'est qu'une pauvresse qui restera toujours pauvresse, une Cendrillon qui ne mérite pas de l'être, et je vous fais grâce du reste du même sirop.
Au début des déboires, la famille et la belle-famille - et réciproquement - ne sait rien, ne voit rien, n'entend rien de la dérive de cet attelage. Ne pas affoler inutilement l'entourage, c'est se donner l'espoir que les choses vont s'arranger, que tout va rentrer en ordre, que le ménage sortira renforcé d'une épreuve que connaissent tous les couples. Et puis, comme rien ne s'arrange, que Camille Parcœur est de plus en plus grosse poufiasse fielleuse, que Jacques Evite est de plus en plus glandulaire, les heurs et malheurs du couple deviennent publics: d'abord dans le voisinage, à cause des cris et du barouf de portes claquées et de vaisselles cassées, ensuite chez les copains-copines d'atelier, enfin dans la famille. Inutile de préciser que l'ambiance crispée des soirées produit des effets délétères sur la santé de ces pauvres naufragés du bonheur: teint brouillé, valoches sous les yeux, haleine chargée à vous assommer un bœuf, alopécie chez Mathurin, dysménorrhée pour Odilon. Et ça se voit. Et les questions déboulent: que se passe-t-il, pourquoi, où quand, comment... Chacun y va de son apitoiement, de son poncif, et cela ne règle rien.
Alors, le divorce est engagé. Odilon se voit confier la garde de ses deux moutards Alexandrine et Henri, conserve le droit d'occupation de l'appartement du 4 de la rue de Vanves, à Boulogne-Billancourt, ainsi que la cuisinière, le frigo et le mobilier des mômes. Mathurin garde la bagnole et embarque la télé, le magnétoscope, la chaîne hifi et les meubles du salon à l'exception de l'armoire-bar; en outre il est condamné à verser une pension alimentaire de 500 F. par mois et par enfant, indexée sur l'indice des prix à la consommation (série parisienne).
Après quoi, Camille Parcœur laisse quimper Mathurin qu'elle trouve trop balourd; Jacques Evite ne bande plus pour Odilon, c'est un cavaleur sans foi ni loi.
À leur tour, Charles et Diana divorcent. L'événement ne mérite ni plus ni moins d'attention et d'intérêt que l'histoire de Mathurin et d'Odilon.
Et pendant tout ce temps, l'usine du fameux constructeur automobile continue de tourner et de désespérer Billancourt, la République n'est pas mise en danger, la Couronne d'Albion non plus.
Le reste n'est que blabla dérisoire, aussi dérisoire que cette histoire exemplaire d'insignifiance, pipi de chat, roupie de sansonnet, flube, flan et toc.
© Paulot Beauléon
Dramma giocoso en deux actes par Paulot Beauléon - Acte 2 -
Deuxième acte (ré mineur): les désenchantements.
Mathurin fait deux enfants à Odilon: Alexandrine et Henri. Peu après la naissance d'Alexandrine, William, fils de Charles et de Diana, pousse son premier vagissement. Pareillement, Henry, deuxième rejeton du couple princier, vient au monde quelques semaines après Henri. A défaut d'une parfaite similitude de progéniture, leurs altesses princières du poireau et de la jonquille ont repris purement et simplement les prénoms des enfants des consorts Branldu-Manche-Choduron: William et Alexandrine sont deux variétés de poires, il fallait y penser; pour Henry et Henri, cela se passe de commentaires.
Tandis qu'Odilon se remet de sa deuxième couche, une gisquette délurée, du nom de Camille Parcœur, avec laquelle Mathurin avait fricoté vers l'âge de 15 ou 16 ans, se rappelle au bon souvenir de ce dernier. Elle le relance et fait tant pour lui remémorer leurs galipettes juvéniles qu'un certain soir, Mathurin, jusqu'alors époux exemplaire, donne un premier coup de canif aux liens du mariage. L'affaire aurait pu en rester là, mais Camille en veut davantage: son objectif est de séparer Mathurin d'Odilon, non pour se mettre à la colle avec lui, comme elle le prétend à ce grand nigaud, mais simplement pour éprouver le plaisir pervers des œuvres de sa séduction, et ainsi refouler son complexe de laissée-pour-compte.
Les coups de téléphone incessants de Camille à Mathurin éveillent les soupçons d'Odilon qui ignore tout des amours acnéiques de son mari, mais elle se rassure en regardant grandir ses deux gniares qui ressemblent tant à leur père. Et puis, patatras!, pressé par Camille de s'engager davantage, Mathurin finit par tout avouer à sa jeune épouse.
Évidemment, Odilon prend très mal les choses: d'abord, elle abrutit son chagrin et sa déconvenue dans le calvados et le chouchenn, mais ces breuvages, non remboursés par la sécurité sociale et tout aussi peu efficaces que le Valium et le Tranxène, ne sont que cautère sur jambe de bois; ensuite, elle s'abonne à "Nous-Deux" (l'hebdo de l'actualité heureuse), achète des culottes fendues avec de la dentelle violet et carmin, et s'essaye au Wonderbra qui la fait ressembler à une nageuse est-allemande camouflée en poupée Barbie. Peine perdue. C'est l'escalade infernale et la descente paroxystique dans la boulimie et l'anorexie cyclo-thymiques. Odilon crie, pleure, gueule, implore, hurle, casse la vaisselle. Mathurin itou, quelques baffes en plus. Ils arrivent bien à se réconcilier et à se rabibocher, mais cette grosse poufiasse fielleuse de Camille Parcœur ne lâche pas et persiste à remettre le souk dans leurs relations fragiles et blessées.
Lassée de ces crises à répétition, et furieuse contre elle-même de n'avoir pu coller une bonne rouste à Camille, Odilon décide de tromper Mathurin: ainsi, se dit-elle, il connaîtra les mêmes tourments de jalousie, de dépit et de tristesse qu'elle a soufferts. Et elle saute le pas avec un certain Jacques Evite, palefrenier de son état. Comment Odilon a-t-elle rencontré ce personnage, je n'en sais rien, mais le fait est patent, Odilon parvient à se rasséréner dans les bras de son amant qui la baratine allègrement et lui raconte toutes sortes de fadaises ou de bobards.